L’arbitre est une femme

L’arbitre d’un récent match de Champions League était une femme. Une première. Cela mérite mention, bien sûr, toutes les premières en méritent une, pourtant la dépêche de l’Agence France Presse (afp) — publiée sur le site de la RTS — nous a surtout rappelé que Stéphanie Frappart était une femme.

Une femme, avant d’être arbitre.

La dépêche aurait pu rester factuelle; il fallut pourtant qu’elle devienne foutraque, faute de goût, phallocrate, finalement on aurait voulu croire à une faute de frappe.

Extraits.

L'arbitre française de 36 ans s'est immédiatement montrée au niveau pour sa première dans la plus prestigieuse des compétitions de clubs.”



Immédiatement à niveau? Apparemment c’est doit être rare pour une femme. Les femmes mettent-elles plus de temps à entrer dans leur match? Les femmes sont-elles plus lentes que les hommes? Sont-elles plus effrayées à sévir tôt? L’afp pense probablement que Madame a élevé ses enfants à la maison, bonne mère, papa était au travail, elle a appris la patience pendant que Monsieur gagnait la croute, cette dépêche ne spécifie pas si la famille était parfaite, une fille un garçon, éducation idoine, non-non oui-oui, maman l’arbitre aurait eu le réflexe de donner une deuxième chance avant de sévir — les parents comprendront. Stéphanie Frappart s’est donc “immédiatement montrée à niveau”, et c’est tant mieux car les hommes ont souvent besoin de ce sacro-saint premier quart d'heure pour entrer dans le match.

« Stéphanie Frappart, première femme à arbitrer un match de Ligue des champions, n'a pas eu le sifflet qui tremble pour diriger un match plutôt correct entre la Juventus et le Dynamo Kiev (3-0). »


Donc, on nous apprend que le sifflet de Madame Frappart n’a pas tremblé. Mais mentionner qu’il aurait pu, n’est pas sous-entendre qu’il aurait dû? Les spéculations malignes, masculines, non merci — pourquoi pas “petit sifflet” encore —, n’aurait-il pas été de bon ton de rappeler que Stéphanie Frappart avait déjà arbitré 80 matchs de Ligue 2 française, la Super Coupe d’Europe 2019?


Donc, on nous apprend que le sifflet de Madame Frappart n’a pas tremblé. Mais mentionner qu’il aurait pu, n’est pas sous-entendre qu’il aurait dû?


Qui plus est, le match semble avoir été “plutôt correct”. Ne voudrait-on pas nous faire comprendre que Madame Frappart a eu son match, très bien, une bonne chose, mais ce match il était facile à arbitrer donc voilà, aucun mérite Madame, c’était simple mais merci quand même, Juve-Kiev de toute façon c’était cousu d’avance. N’aurait-on pas dû se poser la question inverse: le match n’a-t-il pas été facile grâce à l’arbitrage de Madame Frappart?

« Même le capitaine turinois Bonucci a eu droit aux remontrances »


Le capitaine turinois doit apparemment être un homme, un vrai. A tel point que notre arbitre (femme, rappelons-le) n’aurait pas dû oser — ou ne serait-ce que songer — remettre à l’ordre le capitaine turinois. Oui, “même” lui, Monsieur Bonnuci, un homme, un vrai; comment Stéphanie Frappart a-t-elle pu avoir l’outrecuidance, en tant que femme, à imaginer songer, ô opprobre, à remettre à l’ordre cet homme, si vrai, qui gagne 114,000 euros par semaine — oui aujourd’hui on paie à la semaine dans le foot des hommes, le salaire mensuel c’est devenu indécent.


La dépêche aurait pu rester factuelle; pourquoi fallut-il qu’elle devienne foutraque, faute de goût phallocrate, finalement on aurait voulu croire à une faute de frappe?


Après 10 minutes de jeu, la première faute sifflée s'est accompagnée d'un premier carton jaune, adressé au milieu uruguayen de la Juventus Rodrigo Bentancur pour un tacle en retard sur le no10 ukrainien Mykola Shaparenko. Et tout le monde a bien compris que cette soirée de première ne serait pas celle des cadeaux.


Cadeaux? Cadeaux?! En attendait-on davantage, de cadeaux, de la part de Stéphanie Frappart? Les arbitres masculins n’en font pas, pourquoi diable Madame Frappart aurait-elle dû?

La dépêche s’arrête là, et c’est une bonne idée.

Car Madame Stéphanie Frappart est arbitre.

Elle n'est pas une femme arbitre, non, elle est arbitre.

Une arbitre parmi les autres, s'ils sont majoritairement masculins tant pis, elle est arbitre. Elle met des prunes et les avertit, ces prunes de joueurs catalogués coureurs de jupons; elle met des biscottes, sort le jaune, le rouge elle dirige les matchs de foot, elle sévit, hausse la voix comme le ton, réprimande.

Comme les hommes.

Stéphanie Frappart est arbitre.

Stéphanie Frappart, arbitre.

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