L'amertume de la défaite

La défaite. Deux syllabes pour une seule signification: l'échec. La défaite est un plat qui se mange froid, qui se digère mal; un mal qui triture le cœur, qui l'arrache de toute bienveillance et ce, à chaque répétition, un mal qui peut être d'une pédanterie atroce. La défaite est mal. La défaite blesse. Elle tue les espoirs enfouis, souvent dans une furie enluminée.

Regarder Roger Federer s'incliner devant l'adversité, ça triture le cerveau. Le voir souffrir le martyr, affronter le Golgotha, c'est vil. C'est malsain. C'est pernicieux. Revoir les images au TJ de Darius Rochebin, le soir-même de la défaite, c'est une forme inférieure de torture mentale; une cicatrice qui ne se renferme jamais, une plaie qu'on sale vicieusement, que le Malin prend plaisir à enfoncer dans les entrailles du moyen.

La facilité. Ou alors la fidélité?

On peut contourner les lois perfides de la défaite en s'alliant aux meilleures. La solution de facilité. Soutenir le Barça, Manchester City, Novak Djokovic voire les Los Angeles Lakers. Un amour de façade qui permet la vantardise, bien sûr, ces équipes surclassant régulièrement leurs vis-à-vis. D'autant qu'à la moindre contre-performance des uns, ou à la fin de règne d'un autre, on change son fusil d'épaule, et on repart avec les meilleurs, le Real Madrid, Rafa Nadal, pourquoi pas le Miami Heat. Le sentiment d'appartenance, non merci.

Pour d'autres par contre, c'est l'attente perpétuelle, la fidélité qui force la patience. Les supporters des Chicago Cubs, en Major League Baseball, attendent une victoire en World Series depuis... 103 ans. Les natifs de Toronto, eux, attendent depuis 1967, non pas pour soulever la Coupe Stanley, mais déjà pour accéder à sa finale.  Et l'indigène de Cleveland dans tout ça? Voilà 47 ans qu'il attend un titre majeur, les seuls témoins des temps dits meilleurs sont fourbis d'images en noir et blanc émis des ces tubes cathodiques d'un autre temps, éventuellement quelques ergoteurs à la retraite qui piaffent, nostalgique, ah, comme c'était mieux avant.

Chicago Cubs: 103 ans sans titre

Mercredi soir, les playoffs de MLB. Les modestes Orioles de Baltimore affrontent les riches de New York, ces Yankees dont le célèbre logo NYY affuble des millions de vêtements à travers le monde, sans que ceux qui les portent ne s'en doutent une seule seconde.  Le petit loriot de campagne - un Oriole, en français - mène 2-1 face à la puissante machine new-yorkaise, plus de 20 millions de dollars de salaire pour quelques mecs du cru. Et puis la catastrophe. Homerun de Raul Ibanez, celui qui remplace la superstar Alex Rodriguez, A-Rod pour les intimes. Il égalise d'abord. Puis porte l'estocade dans le 12e inning. Fin de match. Fin du rêve. Je suis debout dans mon salon, à 04:46 du matin au coeur d'une nuit de semaine. Je suis avachi. Les yeux dans le vide. Mon équipe est vaincue. Tant pis.  Demain, je carburerai au café, les vapeurs de Raul Ibanez irrigueront mes rêves enfouis.

Et maintenant?  Choisir la facilité, tourner ma veste? Abandonner mon loriot, mes Baltimore Orioles. Jamais de la vie.  J'attendrai 50 ans s'il le faut. Même dans l'amertume de la défaite.

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