Les joies du voyage

Extrait d'un journal de bord. Celui d'un grognon patenté.

Il faut bien tuer le temps. J'adore voyager, mais je hais les aéroports. La devise y est éternelle: courir pour attendre, et puis attendre, avant de recourir. Attendre au contrôle de sécurité, courir vers son portillon de départ. Éternels donc, ces mouvements pendulaires, rituels et inamovibles, pour notre sécurité, ânnone cette voix toujours féminine dans un haut-parleur communément masculin.

Je fais le tour des duty-free, ces magasins qui n'ont, étrangement, pas de nomenclature francophone. Les marques de luxe s'y exhibent ostensiblement; mais non, rien ne me sied ici, rien ne me titille, hormis la luxure des bombasses intemporelles et pourries au botox, elles qui idéalisent leur garde-robe de haut-talons tigrés, 450 euros la paire, quelle bonne affaire.

Ma balade se poursuit. Cigarettes. Parfums. Valises. Kiosques. J'entends la voix féminine me rappeler l'habituel sermon, tout sac abandonné sera immédiatement détruit, pour notre sécurité, naturellement; le passage au contrôle de sécurité avait été long déjà, on inspectait tous les sacs, histoire de parfaire notre sécurité, encore et toujours.

Voilà, j'ai fait le tour des boutiques. Je me rabats donc, bon gré mal gré, sur l'ultime passe-temps: boire. Je repère la première trappe. Un bar à tapas espagnol où on sert du vin français. J'hésite, je me tâte, et puis je me rabats sur la simplicité et la mouture locale, une bonne pinte de bière, s'il vous plaît.

Assis au bar, j'assiste alors au spectacle, la première loge d'une démonstration de facilité du barman. Il jongle entre verres à champagne, ceux à vin, les verres à bière; il sert, millimétré, précis, chaque dose de tord-boyau à ces pendulaires assoiffés qui, comme moi, attendent. Ses mouvements sont précis, clairs, affutés, jamais de hasard dans le déplacement, rien de superflu, on gagne du temps a chaque opération. Et puis enfin, l'hésitation. Il observe ses bouteilles - elles doivent bien être 200 alignées proprement -, il tâte, coup d'œil furtif à gauche, à droite, cherche le Marie Brizard cerise. Je m'interroge alors: combien de temps peuvent bien gémir de telles bouteilles, immondes, superflues: Teichenné, du Tia Maria, une Bénédictine, un Roi Saphir, un Marie Brizard menthe, un pruneau, des vrais antidépresseurs s'il en faut. La femme à côté de moi me fusille du regard, l'homme à sa droite mâchouille quelques cacahuètes, un verre de prosecco à la main. Il me semble stressé, tendu, hirsute, impatient, la clope qui se fait attendre, m'imagine-je.

Les effluves de ma mauvaise bière me montent au cerveau, accompagné de pensées crasses, négatives. Au micro, voilà qu'on nous ressasse des inepties sécuritaires, ne faites pas ci, faites pas ça; la sécurité, encore, toujours. La porte de mon avion s'affiche enfin. Je dois désormais courir, alors que j'ai envié d'attendre. Je déteste les aéroports.

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