Et puis tant pis

Chez Payot, d'aucuns lisent des livres, confortablement assis dans les sofas cosy, dévorent les pages et défient les regards des vendeurs. Ils restent une minute voire une dizaine, peut-être même une heure, à aligner les lignes. Et puis ils déguerpissent. Le vendeur ne vend rien. L'auteur ne perçoit rien. Mais le lecteur lit à l'œil. Et puis tant pis.
 

Et puis l’ascenseur. Dans les lieux publics, grands magasins, aéroports, gares, musées ou monuments; l’ascenseur est le sauveur des poussettes, personnes âgées et handicapés – béquille en main ou chaise aux jambes. Il est le seul moyen de gravir les échelons. Pourtant, bien souvent, les gens physiquement aptes l'empruntent, voilà qui s’apparente à la fainéanté. Ils utilisent le moteur de l’ascenseur pour grimper les étages, tandis que l’handicapé-moteur rêve de pouvoir les monter à pied, ces satanés escaliers. « Oh et puis tant pis », entend-on presque soupirer, au moment où la porte s’ouvre sur une chaise roulante, tandis que l’ascenseur est déjà plein. On dit d’un ascenseur que c’est aussi un monte-charge; inutile de dire que bien souvent il transporte des boulets.
 

On dit d’un ascenseur que c’est aussi un monte-charge; inutile de dire que bien souvent il transporte des boulets.
 

Le motard roule sur sa mobylette pétaradante. Parfois, le bruit de sa bécane dépasse les décibels tolérés dans la plus glauque des discothèques. Égoïstement installé à son guidon, il mate les passants la tête haute, regarde devant, avance nulle part, erre, passe, scrute, pollue – surtout de manière sonore. Tout seul sur une selle qui lui sert de trône, les passants ont, justement, envie de lui dire vulgairement d’aller à selle. Tout seul, tout moi-je, tout égoïste, il ne rend service à personne, réveille le bébé qui dort, interrompt la discussion des habitants ou pire, de l’apéro sur une terrasse. « Et puis tant pis » se dit-il, même si sa moto bruyante ne sert à rien, et lui encore moins. Si ce n’est à sa propre satisfaction.
 

Tout seul sur sa selle qui lui sert de trône, les passants ont vulgairement envie de lui dire d’aller à selle.
 

Il y a encore le smartphone, censé rendre intelligent mais qui rend tellement con, en particulier ceux qui l'utilisent au volant de leur bagnole. Il faut vite répondre au dernier message WhatsApp, vite analyser les cordons de la bourse, vite relire le récent email du chef, derechef y répondre pour faire bonne figure, terminer sa partie de quiz et en mettre plein la vue au collègue, ça ne peut pas attendre, quitte à quitter l'œil de la route, et si l'on tue un autre utilisateur de la route, « et bien tant pis ».
 

Maintenant, extrapolons. Et imaginons. La gare centrale d’une grande ville de ce monde.
 

Dans l’ascenseur, casque sur les oreilles, sans s'intéresser aux autres, un homme pianote sur les commandes (le motard). A l’intérieur, un groupe de gens serrés comme des sardines, qui se défient du regard (les lecteurs Payot). La porte s’ouvre, sur un homme en chaise roulante, devenu paraplégique par la bêtise du smartphone (le chauffard).  Mais il n'y a pas de place pour lui, car seulement voilà: l'ascenseur est plein (d'égoïsme). « Bah, et puis tant pis », se disent ses augustes occupants, il peut bien attendre le prochain. Car désormais, il a tout le temps de consulter la bourse ou de commencer une nouvelle partie de jeu. Seules certaines choses ont changé: désormais plus personne ne lui écrit sur WhatsApp. Et puisqu'il ne peut plus exercer, il n'a plus de chef, ni de collègues.
 

 

Chers politiciens: rendez les ascenseurs à ceux qui en ont besoin. Interdisez-les aux autres.

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Paris, le jour d'après