La réunion
Tout le gratin s’y retrouve, bon an mal an c'est rebelote, dans cette réunion hebdomadaire.
S'y retrouvent toujours les mêmes cadres, la crème de la crème, les caciques de la boite, ensardinés dans la salle de conférence qui fait office de aquarium: les parois sont vitrées, de l'intérieur on scrute l'arrivée des petites gens; de l'extérieur on observe les petits chefs.
Les caciques de la boite sont ensardinés dans cette salle de conférence qui fait office d'aquarium.
De l'intérieur et entre deux aboyées d'autocongratulations, les chefs se disent: « c'est à cette heure-ci qu'ils arrivent? Et en plus ils commencent par discuter à la machine à café »; les seconds chuchotent à voix basse: « c'est à ça qu’ils sont payés ? Et en plus ils parlent pour ne rien se dire ». Les managers pensent au présentéisme des uns; les seconds à l'absentéisme des autres.
Y être, dans la réunion hebdomadaire, c'est bien. C'est la meilleure preuve de sa réussite. Y être, dans la salle climatisée, c’est avoir réussi. C’est bien mieux que tout matérialisme, mieux qu'une chemise PKZ, mieux que son break BMW, mieux qu'une montre IWC que justement, on regarde ostensiblement en levant le poignet, en même temps que les derniers sous-fifres affluent pour mettre la main à la pâte.
Y être, c'est la meilleure preuve de sa réussite. Mieux qu'un titre, mieux que sa BMW, sa PKZ ou son IWC.
De la salle de conférence, c'est les grandes décisions. Les meilleurs cadres se concertent, partagent leurs petites histoires et leurs grands succès. On fait alors un tour de table à raconter les tournées offertes après le nouveau contrat béton. On se félicite de l’érosion d’un complexe en béton qui remplacera les plaines herbées dans un coin d’arrière-pays qu’on prévoit déjà de visiter. On célèbre les alliances stratégiques et prometteuses. On se gausse de la hausse du chiffre d'affaire; cette année on fait péter les bonus, enfin, surtout ceux des cadres en présence, la populace et les ouvriers qui affluent encore attendront encore – on pourra toujours évoquer ce franc fort si peu compétitif, voire les forts investissement pour rester compétitifs.
Pour les augmentations, on pourra toujours évoquer ce franc fort si peu compétitif, voire les forts investissement pour rester compétitifs.
Huit heures plus tard, rebelote. Certains sont confortablement assis sur une terrasse, vue sur tout: les montagnes, le lac et les passants, on refait le monde, on boit un coup, ballon de blanc ou pot de rouge, le prix du pinard vient d’augmenter mais on se dit, comme Georges Brassens : « les meilleurs vins ne sont pas les plus chers, mais ceux qu'on partage ».
Pendant ce temps-là, d’autres quittent la boite, voient rouge car un subalterne a eu un blanc, on accuse alors le coup car il faut bien assumer son titre, même si le prix des actions a chuté.