Lettre ouverte à José Seydoux
Une lettre ouverte à José Seydoux
Cher José,
Permettez-moi de référer à votre billet -- sublime, par ailleurs -- paru dans le quotidien La Région Nord-vaudois du 4 août 2017, "Chérie, j'ai raté ma correspondance".
Le sujet est celui des lettres, historiques, qui se frottent, se piquent aux entrants électroniques: WhatsApp, email, Slack, liste non-exhaustive l'on s'entend, réseaux sociaux l'on comprend.
Il se dit en effet, que ce sera la Génération X, Y voire Z qui édictera, à la vitesse grand-V, l'abécédaire des tendances globales. Entre les lignes et ces quelques lettres, le néant, peut-être le vide - mais chaque jeune juché sur son smartphone est-il forcément un geek, même s'il lit du Rimbaud sur son application Scribd; s'il collectionne Ramuz sur son lecteur Kindle, ou s'il revisite Chessex en DVD?
Allez savoir.
C'est donc, paraît-il, la Génération X, Y voire Z qui édictera, à la vitesse grand-V, l'abécédaire des tendances globales
En attendant, étant moi-même de la Génération X, je suis de ceux qui ne peuvent lire à l'écran.
Impossible.
Il me faut du papier. Le palper. Le toucher. Le sentir. Le respirer. L'humer. Au moins un tantinet, afin que les lignes nous imbibent des mélopées griffonnées - car un livre ne s'arrête pas à sa lecture, il se dévore, se digère, vivote, tantôt il nous énerve qu'on le jetterait à terre, mais il ne peut se limiter à une simple fonction dans le cloud, stocké sur un serveur en lieu et place d'un comptoir.
Dans le capharnaüm du virtuel, la musique aussi, s'y met. Jadis voire naguère, un CD qu'on achetait 30 balles pour 12 titres s'accompagnait d'une pochette. On l'épluchait, curieux, le feuillet contenait photos inédites, parfois les paroles, des extraits d'une tournée, une expérience. Aujourd'hui sur Spotify (12 balles par mois pour 20 millions de titres): rien de palpable, hormis le nombre de lectures d'un titre qui devient tube, qui devient platine, qui devient celui de l'été, qui devient planétaire, qui tourne en boucle; le voilà désormais diffusé à un parterre d'étudiants en mode « repeat », vivement qu'on la lui boucle.
Enfin, l'on fait tout, tout, absolument tout pour dissimuler son adresse postale.
On abhorre cette satanée publicité, qui atterrit dans sa boîte à lettres, pas de publicité svp lit-on plus souvent que l'inverse. Dans le monde parallèle donc virtuel, pas de problème, on dissémine son adresse email à gauche à droite, aux partis du centre, sur LinkedIn et sur Tinder, on le donne à qui mieux-mieux; être spammé par email pas de problème, recevoir un flyer à la baraque non merci.
Un livre nous énerve qu'on le jetterait à terre, mais il ne peut se limiter à une simple fonction dans le cloud
D'ailleurs, José, votre adresse physique fut introuvable, votre adresse email trouvée d'un coup de google.
Si à la base je souhaitais vous transmettre cette missive par courrier physique, sur papier glacé et par plume interposée, seul le courriel fut possible, au grand dam des puristes que nous semblons être, tous les deux. Attention: loin de moi l'idée de vouloir me comparer à un auteur comme vous, vous dont les lettres vous font vivre, moi qui en rêve tous les jours.
Dans votre tribune, vous parlez d'américanisation. Pour y avoir vécu, aux US, dès son plus jeune âge, l'on retranscrit l'alphabète en lettres appondues, les veux-tu-les-voilà, on doit enchaîner, chaque matin ou presque, sa succession des courbes surannées. Oui, aux USA, pays où Trump tweete, quotidiennement, toujours avec le même vocable, pauvre, à tel point que les analystes le jurent destiné à un public âgé de 10 ans, pas plus.
Je suis donc un aficionado de la lettre manuscrite. A chaque anniversaire mon stylo transmet les sages mots de la maison. A chaque Noël c'est carte hivernale à l'encre.
Il n'empêche que tout fout le camp, et vu que Google va passer du mobile à l'intelligence artificielle, qui dit que très vite, le B.a.-ba du courrier ne se fera pas par simple pensée?
Cher José,
Avec impatience et si l'envie vous vient, si le temps vous le permet, si la volonté existe, c'est avec grande impatience que j'attends votre retour, par la plume si possible - tel semblait être votre promesse.
Avec impatience, recevoir un courrier - et non pas un courriel - d'un homme de lettres, rien que d'y penser, l'idée illumine.
Avec impatience, découvrir la calligraphie d'un homme publié, voilà qui fait rêver.
Avec impatience, permettez-moi de vous saluer - même électroniquement.
Avec mes salutations,
Sacha
Sacha Clément
Grand-Rue 1A
1443 Champvent
078 819 66 85
www.sacha-clement.com