En bord de route

*le masculin et le féminin ont été utilisés aléatoirement, dans ce récit (hormis le dernier point, peut-être).


Se nicher en bord de route. Ouchy, heure de pointe: le monde se pointe au boulot.

Et puis regarder les chauffeurs. Les conductrices.

D’ailleurs, pourquoi ne dit-on pas chauffeuse? Un chauffeur conduit tout beau, une chauffeuse n’est qu’un vulgaire siège, sans accoudoir qui plus est – salut l’égalité.

Passons.

Mâle ou femelle, chacun est confortablement blotti dans son véhicule. A conduire, direction le boulot.

Dans la carlingue, rarement le nombre excède un voyageur: salut le covoiturage, adieu l’esprit de partage, ciao la fibre écolo. Les enfants qui manifestent contre le climat, on applaudit, super; y aller de son propre chef non merci, on se cache plutôt derrière des super vitres teintées.

Alors on observe.

Au volant il y a le paresseux.

Et la dissipée.

Si c’est un homme on dit qu’il ergote; si c’est une femme l’assomption dit qu’elle ragote


Celle qui a la tête dans les nuages, la marque de l’oreiller toujours; celui qui a la tête en l’air, à s’observer les cernes dans le rétroviseur.

Le conducteur blasphème pendant que la chauffeure semble ne jurer que par elle-même.

Il y a celui qui semble somnoler, rêvasse du boulot et de la paperasse. Celle qui déjà semble travailler, une première séance à distance.

Celui qui se marre, Rouge FM à fond et blagues à deux balles; celle qui s’informe, RSR en bruit de fond et la rubrique économique.

Il y a celle qui sur son smartphone pianote, celui que son costume dorlote.

Celui qui chante à gogo et à tue-tête. Celle qui déchante en prévision d’un agenda surchargé, les réunions à gogo et le chef tue l’amour.

Celle qui téléphone. Celui qui se reboutonne.

Celui qui se marre, Rouge FM à fond et blagues à deux balles; celle qui s’informe, RSR en bruit de fond et la rubrique économique. Le quadra clinquant en Audi Quattro, l’ado pressée dans sa Polo.


Le quadra clinquant en Audi Quattro, l’ado pressée dans sa Polo.

Celle qui, las des bouchons, profite du temps pour téléphoner. Si c’est un homme on dit qu’il ergote; si c’est une femme l’assomption dit qu’elle ragote.

Celle qui boit son café, celui qui recoiffe sa tignasse. Celle qui se remaquille, celui qui prépare sa ligne – pas celle du cuir chevelu.

Pour une raison quelconque, plein hiver, brusque bise, seuls les hommes en costume roulent sans doudoune. Assis au volant, ils sont déjà en chemise-pantalon, cravate qui scintille, boutons de manchettes parfaites, ils sont comme assis à leur bureau, déjà il faut montrer ses atours. C’est depuis le garage couvert et chauffé de la maison familiale qu’on pénètre sans veston en finissant son déjeuner gueuleton, une douche chaude après son jogging matinal, la montée dans le puissant 4x4 ou SUV (sauve-qui-peut ne jouons pas sur les futilités d’appellation ubuesques et d’égocentrisme, personne ici ne roule en Opel Corsa, SUV ou 4x4 c’est kif kif bourricot pour ce monde-ci — et direction le garage souterrain de la grande multinationale.

Celui qui chante à tue-tête. Celle qui déchante avec son chef tue l’amour.


Mais revenons à nos bagnoles.

Il y’a le maniaque. La bohème. Le meccano. Bobo bon chic bon genre.

Dans la camionnette d’entreprise, les hordes d’hommes, barbes de trois jours, bières d’hier rotées ouvertement, on mate les nanas, on renifle : on met ça sur l’effet de groupe.

A Ouchy, les modèles poubelles n’existent pas: Audi c’est Mamie; Ranger Rover pour le crooner; Golf pour les prétendus Madoff; Tesla pour celle-là; Audi pour celui-ci aussi; Jeep pour le geek. La complexée en Cherokee.

Et puis il y a toujours celui qui se croit à l’abri de tout, des regards, des collègues piétons et des bonnes manières: celui qui se cure le nez.

Oui, nous sommes tous les mêmes.

Le défilé des voitures, défilé de comportements.

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