Les comptoirs du Comptoir
Les allées ne désemplissent pas, sujettes au va-et-vient des cassandres, chacun guette en face: qui est beau et bien sapé ; qui est laid et mal fripé – qui est là, tout simplement.
Le comptoir, foire régionale passe-partout, serrer des mains et montrer sa bouille, les enfants sont chez grand-papa pour qui ce grand barnum, c’est désormais trop bruyant.
Aux comptoirs du Comptoir, les tractations.
Les stands pullulent de badauds : il y a les curieux, ceux de la majorité tardive qui flânent sans ne jamais ouvrir le porte-monnaie. Il y a les acheteurs impulsifs que les bateleurs du stand de lavage de vitre convainquent cahin-caha. Et les pique-assiettes, eux sillonnent, slaloment, veulent atteindre les caves, avec, déjà, un verre dans le nez – sans ouvrir le porte-monnaie et sans passer par la case assureurs.
Dans les allées du Comptoir, les rencontres. Aux comptoirs du Comptoir, les tractations.
Dans les allées du Comptoir, les rencontres.
On recroise cet ami d’enfance, parti faire des études qu’on n’aurait pas réussi à suivre ; il n’a pris un gramme, pas une ride, pas un cheveu blanc, il a terminé tous ses trails, le voilà engoncé dans un job qui le tiraille, il n’a jamais choisi la vie de famille.
On recroise cette amie d’enfance, séparée de son poilu qu’on avait connu comme « l’homme absolument parfait », elle est pimpante, parfaite à son tour, aux quatre-épingles et remise en forme pré-grossesse, magnifiquement heureuse de laisser les enfants à son ex, le temps du Comptoir et de sa sortie bisannuelle avec ses amies.
On recroise le fidèle vendeur du stand Nahrin qui nous propose la dernière merveille, le bouillon en capsules compatible Nespresso, avant de nous rappeler – probité probable – que les années sont dures, depuis le COVID les gens se radinent, se ratatinent, ne sortent plus leur crapaud, râlent, discutent longtemps mais ne consomment point, ils veulent des échantillons gratuits, on apprend que les bonus chez Narhin ont disparu en même temps que la prodigalité du CEO, on apprend que l’inflation suinte jusque dans les méandres des familles les plus aisées, nous on cède pour un litre d’huile d’olive à CH 69.50 – prix d’ami, garanti.
On retrouve alors son groupe de contemporains, et on tire des jus. On boit, on trinque, chacun sa tournée, la bonhomie de quarantenaires cisgenres, on raconte nos jobs et nos investissements crypto ; non plus nos conquêtes féminines devenues illusoires au fil des cheveux blancs, des calvities, de l’embonpoint et du surplus.
Le Comptoir.
Le Comptoir d’Yverdon, rencontre des rencontres.
Crédit photo: Comptoir du Nord vaudois.