A la San Iker, Casillas tombe
Pièce initialement publiée sur cartonrouge.ch. Papier et commentaires ici.
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Iker Casillas. Capitaine idole, vainqueur de tout, parti de rien. On vous surnomme San Iker, votre aura renvoie aux croyances idylles: vous, bel homme adoré par l'idéal féminin (Sara Carbonero, entres autres), vous voilà communément beau, riche et intelligent dans votre quotidien polisse, des vertus que nous, modestes communs, n’atteignons qu'en soirées arrosées. Vous faites des tours de piste après un titre en ânonnant We Are The Champions, nous-mêmes ne chantons que quelques titres au karaoké après des soirées de piste, éventuellement I’m A Loser Baby.
Vous, San Iker, avez tout gagné. Tout. Deux fois l'Euro. Idem pour la Ligue des Champions. Une Coupe du Monde, cinq fois champion d'Espagne. On s'arrêtera là, que votre bonté nous pardonne. Ayez pitié de notre obédience, notre laxisme ici ne provient que de votre palmarès incroyable, jamais exhaustif, si riche qu'on pourrait le poursuivre à l'infini ou presque: Coupe Intercontinentale, Supercoupe d'Europe, Copa del Rey, Coupe du Monde -20...
Iker, roi des cages, vous volez au-dessus de nous, modestes coucous douillettement installés dans nos nids admirateurs.
Votre carrière magnifique débute ainsi le 09.09.99 – déjà un chiffre divin choisi par Lui pour vous – une première apparition en tunique blanche pour pousser, petit à petit et du haut de vos 18 ans, le vieillissant Bodo Illgner sur la touche. Ô l'opprobre. Ô l'arrogance. Mais après tout non, que place se fasse pour l'Iker d'alors, espiègle pupille des lieux, vous qui vous déplaciez à l'entraînement à bord de votre Renault 19, tandis que Fernando Hierro effectuait les dégagements en six mètres pour vous. San Iker, 18 piges, déjà enfant roi.
Et après l'intronisation, très vite la gloire. Le 24 mai 2000, une première victoire en Ligue des Champions face à Valence (3-0). Ensuite, la ribambelle de titres sous votre grandiose ceinture, l'accumulation de flatteries collectives comme individuelles (Gant d'or 2010, 4e au ballon d'or 2008, meilleur gardien du monde 2008, 2009, 2010, 2011), San Iker mérite bien cela, vous pouvez désormais vous mentionner à la troisième personne car d'aucuns commencent, juste logique, à vous affubler du titre de meilleur gardien du monde, éventuellement de tous les temps. Au mondial 2010, Gerard Piqué s'emballe après votre penalty stoppé face au Paraguay: "Il nous a sauvés. Quand il a arrêté le penalty de Cardozo, c’est comme si la Vierge Marie s’était réincarnée en goal." Mieux encore, de la bouche de Cesc Fabregas, qui vous décrit comme "le Dieu du football espagnol". N'ayons aucune crainte, chantons ensemble, debout devant l'hostie:
San Iker, qui êtes au mieux;
Que votre nom soit sanctifié;
Que votre règne perdure;
Que votre volonté soit faite ici ou ailleurs.
Vous méritez bien pareille cantique, vous l'Ange de Móstoles, vous qui protégez de vos ailes gracieuses les cages madrilènes sans discontinuer depuis 2002. Oui, dix années de règne. Depuis l'an de grâce 2002, vous accumulez les titularisations au Real comme en sélection nationale, vous trustez le temps de jeu, ne prenez repos que lors des parties chiches, sans signification outre mesure, la victoire déjà assurée grâce à vos prouesses du match aller.
Dix ans plus tard, la catastrophe. L'innommable. L'ignominie. L'affront. José Mourinho – promis Iker, on ne citera son nom qu'une seule fois – vous place sur le banc face à Malaga. Qui plus est pour des motifs techniques. Antonio Adan vous remplace pour l'occasion. Qui?
Pendant toute la durée dudit match, vous vous prenez la tête entre les mains. Vous râlez. Les simagrées qui redoublent en direct à la TV. Oui, 90 minutes vues du banc, ça pèse. Même si depuis 120 mois, vos doublures y sont cantonnés, vous y observent jalousement, au Real de Madrid comme en sélection.
Du coup, sur Facebook, vous publiez une photo d'une goutte d'eau qui déborde d'un vase, message à peine caché à l'intention du coach. San Iker se met à la métaphore. San Iker sur le banc: c'en est trop. Les Mayas sont bel et bien des visionnaires, l'Apocalypse guette, l'Armageddon frappe. San Iker versus l'entraîneur portugais, c'est parti.
Cher Casillas, redescends sur terre. Tu n’es ni Dieu, ni La Vierge, ni le Roi. Tu as joué le plus de match de l'histoire de Real (644) et de l'équipe nationale espagnole (143). En deviendrais-tu gâteux, pourri, comme si tu avais été élevé dans la soie cossue? Grandis un peu Casillas, et cesse les pleurnicheries.
Staline a dit: dans une élection, ce ne sont pas les voix des électeurs qui comptent, ce sont ceux qui les comptent. Cher Casillas, apprends le partage. Tu auras peut-être le scalp de ton entraîneur, c’est toi qui compteras les voix du vestiaire, tu gagneras le combat et retrouvera les pelouses, ouf, Antonio Adan retournera sur le banc, sa juste place; que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel, ici ou ailleurs.
Cher Casillas, ton passé ne te donne droit à rien, surtout pas aux passe-droits. Etre sur le banc n'est pas une fatalité, ni un signe de condescendance, c'est une place à part entière des sports dits collectifs, oui, tu sais, par exemple le football qui se joue à onze contre onze, à chacun son tour, à chacun sa chance, toi qui en profites depuis 10 années de règne unilatéral.
Tes coéquipiers t'ont comparé à La Vierge, à Dieu; il est temps d'apprendre le partage, encourage tes coéquipiers, cesse de te morfondre sur ton banc. A Malaga, tu paraissais presque gâteux emmitouflé à côté des serviles remplaçants, quelle honte d'être parmi eux. Après coup, tu dis évidemment soutenir ton entraîneur dans son choix de te bannir, mais la langue de bois n'opère pas, Casillas, le langage corporel ne ment pas.
Iker, tu n'es pas Icare, au mieux tu seras Narcisse, celui qui périt (sportivement) à se voir trop beau. Cher Casillas, pardonne-nous nos offenses. Mais par pitié, secoue-toi. Et arrête de pleurnicher. Et redeviens San Iker.