L'aérostress, la trouille en altitude

Dans l'avion, les femmes se maquillent, doucereuses, arrosent l'habitacle d'un mauvais parfum à l'odeur saumâtre, comme s'il fallait être belles pour affronter la mort précoce, cet accident d'avion qui n'attend pas.

Les plus studieux insèrent, lorsque le capitaine annonce un passage de turbulences, un marque-page dans leur roman pourri - ce passe-temps délétère - peut-être pour se mettre à la page, déjà, dans leur cercueil de verre. 

Les autres dorment, attendent la faucheuse dans un sommeil profond, à l'aube du repos éternel, douce mort, petite fin, l'agonie facile sans la souffrance, sans les atermoiements du rejet physique. 

On réfléchit. On tergiverse. Et si on s'écrasait?

Donc non, personne n'est vraiment égal à bord d'un avion: il y'a les peureux qui ne ferment jamais l'œil; les attentistes qui sommeillent et les habitués qui travaillent, lieu de connivence aérien où la trouille pusillanime des uns ne vaut que l'indifférence totale des autres.

Dans les travées désespérées de l'habitacle d'un avion de ligne, on est abonné aux confins de son existence. On réfléchit. On tergiverse. Et si on s'écrasait? Et si, au fond, ce vol n'était qu'un aller simple pour l'éternité?

Dans les mains des pilotes se tient le destin de passagers dévoués à la confiance absolue, des gens qui prient, dans une inconscience totale, que l'équipage manœuvre gaiement, un après-midi après s'être levé de bon pied, les enfants ayant sagement obéi à ranger leur chambre, leur compagne ayant fait des adieux conciliants, une journée de routine à 10'000 mètres d'altitude. 

La pharmacopée à la rescousse des uns

Une routine pour les uns, un calvaire pour les autres, pour ceux qui abhorrent l'avion comme un rendez-vous chez le dentiste; une mauvaise dent à arracher, un vol tumultueux: des instants indigestes, honnis, un rien triviaux, tellement blafards qu'on ne demande qu'à les passer à grands coups de médocs, soigner son pathos de l'air par la pharmacopée ultime, suisse si possible, sans égard pour ces notices indigestes.

Alors bien sûr, l'avion est le moyen de transport le plus sûr, le moins meurtrier. Il paraît même qu'on peut voler au moins une fois par jour pendant 111 ans avant de mourir dans un accident impliquant une compagnie d’aviation commerciale sérieuse. Soit. D'ailleurs, à qui n'a-t-on jamais rappelé cette statistiques ridicule, cette phrase redondante, rébarbative, l'axiome total qui vous assène, en guise de remontrance morale, placide et fruste: "t'es plus en sécurité dans cet avion que dans ta bagnole." Mais bien sûr. Et quoi encore?

L'ascenseur plus meurtrier que l'avion

Quoi encore? Demandez à Google. Première surprise: les ascenseurs font davantage de morts annuels que les avions. Bien. Le risque d'arrêt cardiaque dans un ascenseur est plus important que de croiser, en altitude, cette nymphomane en rut qui vous harcèle en quête de l'opprobre, du coït ultime, du rêve masculin, Priape en chaleur, doux rêveurs pincez-vous: la crise cardiaque vous guette, pas l'orgasme.

Avion. Ascenseur. Même combat. Celui contre l'asphyxie, le manque absolu de contrôle. Laissez tomber les parfums et les marque-pages; reposez-vous doucement, la mort vous attend, en avion ou ailleurs.

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