Au Temps des sports

Je m'en souviens parfaitement, c'était le lundi 8 juin 2009.  Un lendemain de gloire.  Mes rêves – comme ceux de millions de Suisses – s'étaient cristallisés définitivement.  Roger Federer venait de remporter son pensum, Roland-Garros était sien, ses larmes vindicatives remplissait l'orgueil de l'Helvétie entière.  Et avec elles le sentiment du devoir accompli: désormais, notre Federer serait bien considéré comme le meilleur de tous les temps.

Le Temps je l'ouvre donc, en ce jour de grâce, 8 juin 2009.  Je me rue aussitôt à l'assaut de la section sportive.  Je scrute chaque page, à la recherche de la signature de Christian Despont.  Christian Despont, c'est le brillant scribe, superbe dans le style, magnifique dans la prose.  Il frise le génie, à tel point que s'il faisait du tennis, il lutterait avec ou contre Roger; plutôt avec, tant il aime à s’amouracher devant les exploits de son Roger.

Et là, le bijou.  Le summum.  L'offrande.  La quintessence.  Le parfait.  Un cahier spécial, entièrement dédié au Maître.  Une dizaine de pages de bonheur: certains lecteurs n'y verront que de simple mots couchés sur un papier modique; les autres apprécieront le dithyrambe magnifique qui s'agglutine sur un cahier superbe. Je fais partie de ces derniers.  Je m'extasie.  Je jubile.

Christian Despont qui écrit sur Roger Federer.  Federer qui sublime la plume de Despont.  Une raquette.  Une plume.  Deux élégances.  Deux muses.  Le beau rencontre le parfait.  L'idéal popularise l'esthète.  C'est parti pour un cahier entier d'addiction.  Depuis ce 8 juin 2009 d'ailleurs, pas un tournoi du Grand-Chelem ne se trémousse sans que je ne jette un coup d'œil thuriféraire au cahier de Christian Despont.  

Mais depuis ce jour de juin 2009, de l'eau a coulé sous les ponts.  Roger gagne toujours, certes plus chichement.  Tout comme son sous-fifre Christian Despont, qui lui aussi émerveille toujours, plus sporadiquement certes, dans d'autres colonnes de la presse écrite, finie son escapade au Temps.

Il me vient alors cette once de nostalgie.  

Jadis au Temps, les articles de sport n'étaient pas forcément quotidiens, mais ils étaient toujours atypiques. Les sujets étaient intemporels, offraient irrémédiablement une vision décalée du sport; l'écriture abordée restait inabordable ailleurs. Un ensemble qui faisait la joie des passionnés de sport, comme moi. Le Temps se démarquait clairement de la concurrence.  On n'y lisait jamais de résumés de matchs bébêtes sur son Smartphone, le lecteur avait droit à une analyse poussée, méticuleuse, profonde.  Du bonheur sur papier.  Disparu depuis.  D'autant qu'après l'inégalable Christian Despont, voilà que Simon Meier est sommé de quitter le paquebot à son tour.  Et avec lui toute la clique des sports.  Fini les cahiers dédiés à Roger.  Terminé le bonheur écrit, sous la plume idoine du Maître Despont.

Chaque Grand-Chelem me rappelle à mes bons souvenirs, puis à ma dure réalité: Roger gagne toujours, mais ça sera sans la plume du Temps.

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