Les requins

Dans l'auditoire d’une business school de renommée internationale, le maelström.

Ils sont répartis dans l'auditoire en hémicycle comme sur la mappemonde


Le pot-pourri des cultures, le mélange des peuples, à gauche les latins à droite les occidentaux, répartis dans l'auditoire en hémicycle comme sur la mappemonde, à la même manière que leurs systèmes politiques.

Cet auditoire, c’est encore les différences individuelles: les introvertis et les extravertis - respectivement les Asiatiques et les Néerlandais. Il existe ceux qui sont assidus, à qui rien n’est dû, lorsqu'ils (p)osent une question, c'est droit au but, straight to the point. Six mots pas plus, et on attend la réponse. Ca écoute, ça absorbe. On écoute et on passe à la suite; on fait mine basse et on laisse la parole aux autres. Ceux-là sont tout sauf les dormeurs de fond de classe, ceux-là même qui ne préparent rien, si ce n'est les sorties du soir.
 

Ceux-là sont ne préparent jamais rien, si ce n'est les sorties du soir.


Mais ensuite, il existe la caste dite des middle-managers. Voilà les requins du business. Les carriéristes de guinguette, ils posent des questions non plus de six mots mais de six minutes. Ils veulent accaparer l'attention, le m'as-tu vu avant le m'as-tu entendu; souvent en posant une question ils suggèrent la réponse, le Professeur acquiesce car ce sont des clients après tout, le requin pense alors à la mise en place stratégique, comment imposer son point de vue lors de son retour dans l'entreprise, comment gagner en influence, comment gérer le pouvoir…  

Soudain le smartphone sonne – c'est madame qui envoie une photo de bébé qui fait son premier sourire, quelle outrecuidance – alors vite on le dissimule, ce smartphone privé, on répondra plus tard une fois confiné dans sa chambre d'hôtel; faudrait surtout pas que le responsable des RH d'à-côté puisse s'imaginer bébé comme une distraction, adieu la carrière, bonjour la famille, non ça jamais, autant insulter les satanés subordonnés plutôt que de changer les couches de bébé; la gloire se vit intra-muros au sein même de la bâtisse de verre de la multinationale, pas dans la chambre à coucher de l'arrière-pays avec balcon qui surplombe le lac, terrasse vue sur la baie; on préfère carrément mater les cuisses de sa secrétaire et/ou choisir sa place dans la cafétéria plutôt que de choisir la tenue de bébé; ce futur leader sort alors le smartphone professionnel de la poche, ouvre son Evernote Premium, met ostensiblement en valeur quelques tableaux Excel de couleur, la vie rangée c'est les données imbriquées, ô grand jamais les photos de famille; on penche le smartphone en direction du RH qui guigne, en fond d'écran c'est le logo de la boîte et non pas la photo du petit, dès lors le RH est le point cardinal des opportunités, et quand soudain le Professeur pose une question à l’auditoire: le requin saute sur l'occasion, répond vaguement une longue litanie, quitte à prouver qu'on est capable de faire deux choses importantes en même temps, consulter des données stratégiques et répondre aux questions qui piquent - changer des couches et calmer les pleurs de bébé, ça, non, on n'a jamais essayé.

Tout cela se passe sous l'œil amusé d'un CEO, sexagénaire. Lui se dit, "qu'est-ce qu'on était con quand on était jeune."

 


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