Le rond-point

Il est là, situé tout juste à quelques mètres de la sortie de l'autoroute. 

Le rond-point. 

Autour de lui, tout et son contraire. Il est le point névralgique, on y passe pourtant sans prêter attention à ses atours, on s'ébahit plutôt de ses alentours.

À sa gauche, la multinationale. Bâtisse ripolinée. Grandeur assumée. Immensité calfeutrée. Elle surplombe, superbe, donne le tournis - quelle grandiloquence - aux quidams, badauds et autres touristes qui la regardent d'en bas, ils courbent l'échine, l'air de dire: "wow, suis-je bien à ma place?"

À sa gauche, la multinationale. Bâtisse ripolinée. Grandeur assumée. Immensité calfeutrée.

Autour, la nature. En face et tout autour du rond-point, des parcs, de la verdure, et le lac. La nature qui vit. La nature qui pleure, espionnée par l'œil en verre qui lui fait face. À l'intérieur, ses managers attablés côté lac, qui font de l'œil à la nature pendant la pause de midi, voire la scrutent pendant une réunion d'ennui, l'air de se dire: "wow, suis-je vraiment à ma place?

Retournons au rond-point. Autant bien que mal, il filtre, le rond-point. Passent tout droit: poubelles, chiottes, les voitures du pauvre.  Dacia Dokker. Opel Corsa. Fiat Punto. Ford Picasso. Citroën Picasso ou truc berlingot. 

Mais parfois, le rond-point entrouvre sa voie de garage, qui n'en est évidemment pas une. Bifurquer à gauche du rond-point, direction le sous-sol tamisé de la multinationale: Porsche Cayenne. Audi Q5. BMW X5. Volvo C90.

A gauche, non pas les pauvres.  Mais bien ceux qui votent à droite.

Autant bien que mal, il filtre, le rond-point. Passent tout droit: poubelles, chiottes, les voitures du pauvre.

Et puis l'incroyable. L'impensable. L'inavouable. Un Mercedes SL ne vire non pas à gauche se cacher dans l'antre du monstre de verre, mais file tout droit.

Le GPS qui péclote?

Un pauvre homme qui aurait abusé du micro-crédit, histoire de rouler grande classe, tout en habitant un modeste 3.5 pièces avec femme, chien et enfants?

Non, ouf, il s'arrête. Certainement une erreur. Il doit avoir oublié de braquer à gauche, l'œil rivé sur son smartphone dernier cri. Le voilà qui s'arrête. Subitement. Sort de son véhicule. Observe. Regarde. Scrute. S'élance.

Tout droit vers la caissette du 20 Minutes.

En arrache un exemplaire. L'un des derniers, car il est déjà 09:30, il est un peu en avance ce matin. Et il urge ses fesses en costard Dolce Gabbana dans son coupé sport. Crissement de pneus. Marche arrière. Affronte le rond-point d'une accélération futile, vrombissement magnifique. Et prend la bonne sortie, celle de gauche, direction les entrailles de la multinationale.

Il n'est donc pas un pauvre diable au bénéfice d'un micro-crédit, mais bien un manager de la multinationale au bénéfice d'une place attitrée dans le parking réservé aux caciques.

D'ici quelques minutes, il pourra lire son quotidien. Attablé à son bureau. Avec son café. L'œil rivé sur les jambes de sa secrétaire. À contempler le parc et son lac. À lire une nouvelle imbuvable du 20 Minutes caché sous un dossier urgent en se disant: "wow, ai-je pris la bonne place au parking?"

 

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Grrrrrrrrrrrrr

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