Jonathan Mann: souvenirs CNN d'une jeunesse sans internet

Quand j’étais jeune, Internet n’existait pas.  La télévision traditionnelle balbutiait ses programmes ridicules à intervalles régulières, programmation TSR nian-nian, précise, juste, esclave des temps anciens où l’information ne circulait que rétroactivement. Les journalistes étaient des journalistes. Et le reste du monde les lisaient sans esprit critique. Juste avec cette attention subreptice.

Quand j’étais jeune pourtant, j’adorais le sport. Le sport était ma vitamine. Mon adrénaline. Pour connaître un résultat, il fallait attendre le lendemain, voire le surlendemain. Courir acheter le USA Today de potron-minet, arracher le cahier futile des nouvelles du monde, de l’économie d'alors - souvent fleurissante -, se plonger cahin-caha dans les résultats sportifs.

Avec mon frangin, on s'agenouillait devant le rêve américain

Mais quand j’étais jeune, j’aimais le basket. Ou plutôt, on aimait la NBA. Avec mon frangin, on s’agenouillait devant le rêve américain – nous y avons bien vécu cinq années, aux USA –, on aimait à décortiquer chaque résultat, chaque statistique, chaque transfert. On s’émerveillait devant le génie mirifique de MJ Michael Jordan: le plus grand sportif de tous les temps. Le numéro 23 des Chicago Bulls a marqué le monde du sport de son empreinte indélébile: un leader charismatique, un gagneur-né, un esthète iconoclaste, le seul capable de propulser un sport à la quintessence de la mouvance mondiale.

Pour obtenir les résultats NBA, la presse dite traditionnelle ne suffisait pas. D’autant que le USA Today n’arrivait en Suisse que trois jours après les matchs.

Il a donc fallu s’adapter. Seule solution, unique alternative: CNN.  Oui, CNN.  La chaîne d’information par excellence, le créneau des gens en costard, l’intemporel logo rouge rogné de lettres blanches ondulantes, la seule chaîne de télévision dont le Breaking News est estampillé comme normal.

Le générique qui m'emplit de souvenirs éternels

Chaque jour ou presque, en rentrant de l’école, on se plantait devant CNN. On piaffait d’impatience, en attendant gaiement le générique de CNN World Sport, ce jingle qui emplit encore mes oreilles de bonheur juvénile, les purs moments de partage avec mon frangin préféré. Les journalistes s’égosillaient, s’esclaffaient: "Michael Jordan scores 34 points as the Bulls dismantle Patrick Ewing and the Knicks" Un phrasé qui ressemblait, pour nous frangins, au bonheur absolu.

Pour lancer World Sport, il y’avait un homme, l’archétype du présentateur télé. L’image d’Epinal du parfait journaliste: cheveux en brosse limés à la droiture de la parole, rasage parfait, ce timbre de voix malléable aux nouvelles de ce monde, funestes ou non, le costard taillé sur mesure, la cravate reluisante. 

"This is CNN, I'm Jonathan Mann"

Nous parlons ici de Jonathan Mann, l’anchor - le présentateur, en français dans le texte - de CNN. Jonathan Mann a dicté une partie de mon enfance, les bons souvenirs en abondance. Pendant des années, il a lancé World Sport.  

Puis internet est devenu ce qu’il est, l’outil capable de retranscrire les résultats sportifs en direct, sans référencement à la sauce CNN, encore moins à la presse écrite. Fini l’accroc à Jonathan Mann. Terminé le rush au kiosque pour s’acoquiner du USA Today. Internet était né.

Dix ans plus tard, voilà que Jonathan Mann débarque chez IMD, là où je travaille.

Impossible de rater sa présentation sur les élections américaines de 2012. 

Impossible de ne pas ressasser ces souvenirs d’enfance. 

Impossible de ne pas avoir un pincement au cœur au moment où il me serre la main. 

Impossible de ne pas me référer au célébrissime "This is CNN, I’m Jonathan Mann." Sa syntaxe me manque, ses syllabes me manquent. Et le temps d’un souvenir indélébile, je suis nostalgique d’une époque sans internet.

 

 

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